La Bièvre devient légende sous la plume de Victor Hugo, Jean Moréas, Blaise Cendrars, Émile Zola, Aristide Bruand, Pierre de Ronsard et ses amis poètes de la Pléiade, où elle évoque les ponts légers, les lavoirs, les moulins, les petits métiers…

Cabotine, elle est mythique sous les crayons et pinceaux de Trimolet, Chauvet, Lebègue, Pequeniot, Baudoin et Lepère et avec les photographies de Robert Doisneau ou Nadar qui fit la première photo aérienne depuis une montgolfière au-dessus de la Sygrie qui se jette dans la Bièvre.

 

« Bièvre » – Poème de Victor Hugo – 8 juillet 1831

A Mademoiselle Louise B.
Un horizon fait à souhait pour le plaisir des yeux.
FÉNELON.
I
Oui, c’est bien le vallon ! le vallon calme et sombre !
Ici l’été plus frais s’épanouit à l’ombre.
Ici durent longtemps les fleurs qui durent peu.
Ici l’âme contemple, écoute, adore, aspire,
Et prend pitié du monde, étroit et fol empire
Où l’homme tous les jours fait moins de place à Dieu !

Une rivière au fond ; des bois sur les deux pentes.
Là, des ormeaux, brodés de cent vignes grimpantes ;
Des prés, où le faucheur brunit son bras nerveux ;
Là, des saules pensifs qui pleurent sur la rive,
Et, comme une baigneuse indolente et naïve,
Laissent tremper dans l’eau le bout de leurs cheveux. 

Là-bas, un gué bruyant dans des eaux poissonneuses
Qui montrent aux passants lés jambes des faneuses ;
Des carrés de blé d’or ; des étangs au flot clair ;
Dans l’ombre, un mur de craie et des toits noirs de suie ;
Les ocres des ravins, déchirés par la pluie ;
Et l’aqueduc au loin qui semble un pont de l’air.

Et, pour couronnement à ces collines vertes,
Les profondeurs du ciel toutes grandes ouvertes,
Le ciel, bleu pavillon par Dieu même construit,
Qui, le jour, emplissant de plis d’azur l’espace,
Semble un dais suspendu sur le soleil qui passe,
Et dont on ne peut voir les clous d’or que la nuit !

Oui, c’est un de ces lieux où notre coeur sent vivre
Quelque chose des cieux qui flotte et qui l’enivre ;
Un de ces lieux qu’enfant j’aimais et je rêvais,
Dont la beauté sereine, inépuisable, intime,
Verse à l’âme un oubli sérieux et sublime
De tout ce que la terre et l’homme ont de mauvais !

II
Si dès l’aube on suit les lisières
Du bois, abri des jeunes faons,
Par l’âpre chemin dont les pierres
Offensent les mains des enfants,
A l’heure où le soleil s’élève,
Où l’arbre sent monter la sève,
La vallée est comme un beau rêve.
La brume écarte son rideau.
Partout la nature s’éveille ;
La fleur s’ouvre, rose et vermeille ;
La brise y suspend une abeille,
La rosée une goutte d’eau !

Et dans ce charmant paysage
Où l’esprit flotte, où l’oeil s’enfuit,
Le buisson, l’oiseau de passage,
L’herbe qui tremble et qui reluit,
Le vieil arbre que l’âge ploie,
Le donjon qu’un moulin coudoie,
Le ruisseau de moire et de soie,
Le champ où dorment les aïeux,
Ce qu’on voit pleurer ou sourire,
Ce qui chante et ce qui soupire,
Ce qui parle et ce qui respire,
Tout fait un bruit harmonieux !

III
Et si le soir, après mille errantes pensées,
De sentiers en sentiers en marchant dispersées,
Du haut de la colline on descend vers ce toit
Qui vous a tout le jour, dans votre rêverie,
Fait regarder en bas, au fond de la prairie,
Comme une belle fleur qu’on voit ;

Et si vous êtes là, vous dont la main de flamme
Fait parler au clavier la langue de votre âme ;
Si c’est un des moments, doux et mystérieux,
Ou la musique, esprit d’extase et de délire
Dont les ailes de feu font le bruit d’une lyre,
Réverbère en vos chants la splendeur de vos yeux ;

Si les petits enfants, qui vous cherchent sans cesse,
Mêlent leur joyeux rire au chant qui vous oppresse ;
Si votre noble père à leurs jeux turbulents
Sourit, en écoutant votre hymne commencée,
Lui, le sage et l’heureux, dont la jeune pensée
Se couronne de cheveux blancs ;

Alors, à cette voix qui remue et pénètre,
Sous ce ciel étoilé qui luit à la fenêtre,
On croit à la famille, au repos, au bonheur ;
Le coeur se fond en joie, en amour, en prière ;
On sent venir des pleurs au bord de sa paupière ;
On lève au ciel les mains en s’écriant : Seigneur !

IV
Et l’on ne songe plus, tant notre âme saisie
Se perd dans la nature et dans la poésie,
Que tout prés, par les bois et les ravins caché,
Derrière le ruban de ces collines bleues,
A quatre de ces pas que nous nommons des lieues,
Le géant Paris est couché !

On ne s’informe plus si la ville fatale,
Du monde en fusion ardente capitale,
Ouvre et ferme à tel jour ses cratères fumants ;
Et de quel air les rois, à l’instant où nous sommes,
Regardent bouillonner dans ce Vésuve d’hommes
La lave des événements !

Léon LEBÈGUE

14 dessins de  gravés sur bois par Émile BOIZOT pour le roman de Joris-Karl HUYSMANS – 1914

 

Jean Moréas – Memento*

La route monte entre des murs et tourne et longe l’enclos planté d’arbres rangés, qui n’ont encore de vert, sinon un peu de mousse.

Allée, platanes
De belle écorce,
Vieux bancs de pierre,
Je vous revois
Dans la lumière
De cette fin
D’hiver bénin.

Dans la vallée
Au creux charmant
La Bièvre coule
Et se déroule
Comme un ruban.

Jean Moréas « Esquisses et souvenirs », Mercure de France, 1908
* Memento signifie ici Souviens-toi. On pourrait titrer ce texte La Bièvre.

Alphonse Trimolet

La Bièvre, 1887 (Paris, entre 1800 et 1900)

Nadar – Photographie aérienne

C’est à Bièvres – ou plutôt au-dessus – que ce passionné de montgolfières et de photos a pris le premier cliché aérien au monde, il y a cent cinquante ans.

Nadar, parti en ballon de Paris dans l’optique de révolutionner la cartographie grâce à la photo aérienne, échoue au gré des vents au sud du « petit Bicêtre » (aujourd’hui le Petit-Clamart), en fait, à Bièvres.

Toutes les photos prises au-dessus de Paris ont échoué, et à la troisième tentative au-dessus de Bièvres, miracle ! L’image est fixée. Nadar comprend alors que c’est l’hydrogène de son ballon qui a détruit ses précédents clichés. De son périple, il ne restera qu’une seule photo… que le fantasque inventeur a finalement égarée.

Détruite, cassée ou enfouie dans un grenier, cent cinquante ans après, le destin de cette image fait encore fantasmer. D’autant que, selon la légende, la photo a été prise par l’inventeur… dans le plus simple appareil ! « Nadar a expliqué dans ses mémoires que pour prendre de l’altitude, il avait lâché du lest, jusqu’à se déshabiller totalement, raconte Thierry Sibra, qui donnera deux conférences sur Nadar. Mais on sait aussi qu’il aimait bien romancer ses expériences… »

Sans connaître son nom, nous avons tous un jour ou l’autre aperçu les photos de Félix Nadar.

Elles sont entrées dans les livres d’histoire. Les images que nous gardons des grands noms du XIXe siècle – les Sarah Bernhardt, Victor Hugo et Baudelaire – sont bien souvent les siennes.

Atelier Nadar, Félix Nadar en gondole de ballon, 1863

Un autoportrait vers 1863, où Nadar se met en scène dans une montgolfière. Bibliothèque Nationale de France

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